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FanaFiction
6 novembre 2021

Les défictionnés

Je déteste les défictionnés. 

J'appelle "défictionnés" ces profils prétentieux qui gerbent leurs grandes verves et savantes rhétoriques dans les sphères médiatiques du sociopolitique, du noble littéraire, de l'élitisme intellectuel. Les défictionnés sont des morts d'avant-mort. Leurs paroles, leurs discours, leurs "éditos" sont en fait des selfies d'influenceuses - tous connectés ! -, alors qu'ils croient errer dans les sphères du profond, du tragique, du subtil ou de l’existentiel.

J'ai toujours du mal à imaginer ce moment où les défictionnés, si nombreux en ce bas monde, seront aspirés par le tunnel, aspirés par leurs propres enfances, dans l'évidence révélée de leurs erreurs de pensées, de perspectives, leurs erreurs d'ego. Ils sont si nombreux que j'en craindrais presque qu'une certaine "dimension" de l'au-delà leur ressemble ; je craindrais presque de les retrouver là-haut, parlant de la vie, écrivant sur elle, la dévivant sans cesse par le verbe d'ambition saisissante. Et puis je me souviens que toutes les grandes réponses sont connues, les encombrants mystères résolus, et les rhétoriques désanctifiées par la chasse d'eau de l'absence de temps.

Le penseur naguère épanoui dans sa propre surbrillance se rencontre enfin à travers sa mort, au rideau déchiré comme une révélation, comme un étranger au privilège nul, à la supériorité nulle, la sagesse nulle, l'âge adulte nul ; les pensées camusiennes sont des ballons crevés, dont l'air libéré, comme rendu au souffle, recycle de vieux livres brûlés. Les défictionnés sont des morts d'avant-mort. Les quelconques d'aujourd'hui - la masse joueuse, abasourdie de culture pop - ne sont pas toujours les plus fins, ils moutonnent souvent, se conjuguent hélas sans révolte ni vision profonde, mais ils sont d'une intelligence plus affûtée que celle dont les défictionnés se gargarisent, ils sont les vivants d'aujourd'hui, les rescapés de la grande mort intellectuelle, cette faucheuse encéphalique plus illusionnée qu'un Yann Moix.  

Les défictionnés jouissent de fictions pour défictionnés, c'est-à-dire de fictions vouées à se réfléchir dans leurs intellects, au travers de personnages eux-même défictionnés, miroirs sociaux et donc objets d'études, acteurs historiques et donc masturbateurs culturels, ou encore sisyphes modernes et donc branleurs existentialistes. Il faut dire que les défictionnés, réels et fictifs, souffrent de la même ignorance fondamentale que celle dont souffrait ce con d'Albert, cette ignorance qu'ils refusent de regarder en face sous prétextes vaguement agnostiques, sceptiques, illusoirement lucides. Ils voient la masse des adulescents rêveurs aux idéaux apolitiques comme un brouhaha de médiocrité, au-dessus duquel leur verbe s'élève devant un éternel inavoué, parfois néant paradoxal, qu'ils idolâtrent dans une cupide et demi-consciente prétention de postérité. 

L'ironie est que si d'aventure ils gagnent quelque postérité, la raison de cette postérité meurt là où ils meurent, c'est-à-dire là où ils gagnent la vie, retombent d'eux-mêmes, de leurs verbes pitoyables et sans grandeur ; là où il ne leur reste que les fruits de leurs chutes, la vie revenue et des enfants rêveurs aux idéaux apolitiques, pour apprendre à se tenir debout dans le réel. 

 

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