Survie (2)

A qui revient-il de produire la suite ? A son auteur d'origine, forcément ? Peut-être pas. S'il y a une chose étrange avec les oeuvres de fiction, c'est qu'elles peuvent exister bien plus fort dans le coeur de leurs témoins que dans l'esprit de leurs créateurs, bien plus fort et bien plus longtemps. Dès lors, l'histoire se met à dérouler sa réalité là où elle est racontée plutôt que là où elle a été racontée d'abord - selon la vérité profonde, l'endroit où elle est alors racontée devient l'endroit où elle est racontée d'abord ; en ce cas, le témoin marche dans la réalité de l'histoire, son environnement, plus justement et plus véritablement que le "créateur" ayant pénétré ce monde pour la première fois.

Qui plus est, l'auteur d'origine est capable de trahison, de fausseté, de manque de crédibilité au sein de l'histoire considérée. Sitôt qu'il prétend en mettre en forme la suite, il ne s'empare pas simplement de l'histoire qu'il a lui même mise en forme en premier lieu,  il s'attaque à l'histoire telle qu'elle a d'abord été racontée à ses "lecteurs" (employé ici dans un sens plus large et général que d'accoutumée). Or, cette suite qu'il prétend raconter n'existait pas au sein de l'histoire reçue, par lui-même ou par autrui, aussi rien n'en fait la suite valide au sein du "livre" originel ; autrement dit, au-delà du premier objet "fermé" transmettant l'histoire, celle-ci lui est tout autant étrangère qu'à ses lecteurs ; la suite ne lui appartient pas. Aucune logique ne suppose que la suite de l'histoire se raconte à son esprit plutôt qu'à tout autre esprit ayant fait l'expérience de l'histoire au moins tout autant que lui.  

Il est intimement nécessaire que l'histoire que nous racontons nous soit racontée par l'histoire elle-même. Il est intimement nécessaire d'oublier les auteurs. L'histoire n'appartient pas à l'auteur, l'histoire appartient à l'histoire ; l'auteur ne fait que transmettre une histoire qui, au-delà de lui, s'est déjà réalisée, et lorsqu'il prend une décision narrative, c'est parce qu'il a perçu dans l'histoire la vérité de l'événement qui lui est raconté.